Echange avec Maître Yann-Maël LARHER, Avocat au Barreau de Paris, spécialiste du droit du travail et social

Le harcèlement sexuel ou moral au travail reste un sujet tabou dans les entreprises. Quelle évolution constatez-vous dans les organisations sur ce sujet ? La parole s’est-elle enfin libérée ?

Le bien-être mental au sein des entreprises reste encore tabou. Quand on demande à un salarié ou à un collègue « comment ça va ? » on ne s’attend toujours pas à ce que la réponse soit négative. Et quand les salariés brisent le silence c’est trop souvent qu’il est trop tard. La situation n’est plus tenable pour la victime et le collectif ne fait que réagir à une situation parfois connue depuis longtemps. Néanmoins, on constate depuis déjà plusieurs années une prise de conscience de la part des entreprises. De nombreuses organisations mettent en place des dispositifs pour prévenir les rapports de force hiérarchiques comme entre deux employés qui s'expriment parfois hors du lieu de travail ( notamment avec les mails ou les SMS ). Les partenaires sociaux intègrent cette dimension dans leurs échanges par exemple dans les accords sur le droit à la déconnexion ou encore à l’occasion de la mise en place du télétravail.

Comment différenciez-vous ce qui attrait à la blague potache à la qualification d’une situation d’harcèlement ? Existe-t-il un biais générationnel ?

La souffrance est la même pour tous les générations, mais aujourd’hui les jeunes salariés ne considèrent plus le travail comme un lieu où ils doivent souffrir en silence. L'humour potache est un humour moqueur portant peu à conséquence, qui n'offense pas autrui, et qui n'est pas basé sur un mensonge. A contrario, le harcèlement désigne la répétition d’agissements, propos ou comportements qui ont pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail du salarié. Dès lors que les « blagues » sont toujours portées contre un individu ou une catégorie d’individus, on ne peut plus se cacher derrière le masque de l’humour, il s’agit d’un délit. Répétée, la mauvaise blague peut qualifier une situation de harcèlement. Isolée, l'acte n'en restera pas moins sexiste ou discriminant aux yeux de la loi.

D’un point de vue employeur et salarié, le code du travail doit-il évoluer sur le sujet harcèlement ?

Le code du travail est relativement équilibré sur la question du harcèlement.

D’un côté, le salarié doit rapporter les faits qui permettent de supposer l’existence d’un harcèlement moral. En claire, il n’appartient pas au salarié d’apporter la preuve du harcèlement moral au travail en revanche il doit dénoncer la situation à son employeur par un écrit.

Ensuite, dès lors que le salarié dénonce formellement une situation de harcèlement, l’employeur a de son côté l’obligation de diligenter une enquête interne afin de vérifier les faits. A défaut, il manque à son obligation de prévention. La Cour de cassation a estimé que l’absence de mise en place d’une enquête interne après des révélations et des plaintes de harcèlement moral par un salarié est un manquement de l’employeur à son obligation de prévention des risques professionnels, entrainant un préjudice au salarié (Cass. Soc. 27 novembre 2019, n° 18-10.551).

Quelle(s) action(s) l’entreprise doit-elle mettre en place pour se prémunir et se protéger de tels comportements ?

Les entreprises doivent non seulement être à l'écoute des salariés subissant un harcèlement moral ou sexuel mais surtout elles doivent agir en amont pour prévenir ce risque. Agir contre le harcèlement consiste ainsi être en état d'alerte sur les comportements permettant de présumer une situation de harcèlement mais aussi à former ses collaborateurs et notamment les managers pour qu’ils soient capables d’identifier et de prévenir des comportements inappropriés. L'isolement d'un salarié, la dégradation du climat social peuvent aussi alerter l’entreprise et la pousser à adopter des outils pour libérer la parole avant qu’il ne soit trop tard. Un environnement de travail hostile porte des conséquences graves pour les individus mais elle est également susceptible d’affecter durablement les performances et la réputation d’une entreprise.

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